La méthode d'Alembert
Parmi les fameuses stratégies de la roulette, une méthode consiste à énumérer toutes les possibilités de déroulement de la suite des coups, à estimer la probabilité de chacune et à en peser les conséquences. Les calculs mathématiques deviennent indispensables : ce sont ces calculs qui ont préoccupé les mathématiciens, dès l’origine du calcul des probabilités; on les trouve dans les grands traités, dès le 18e siècle, sous le nom, bien suggestif, de théorie de la ruine des joueurs.
Contentons-nous ici d’un exemple : c’est la stratégie que les habitués nomment montante de d’Alembert.
Le principe en est simple : si vous venez de gagner, diminuez votre mise, augmentez-la au contraire si vous venez de perdre.
Et pour séduire les naïfs on prend un exemple. Six coups de perte suivis de cinq coups de gain donneront :
— I— 2 — 3— 4— 5— 6+ 7+ 6+ 5 + 4 + 3 = 4, c’est-à-dire un gain « malgré la malchance ».
Mais un exemple ne suffit pas, il faudrait examiner toutes les suites possibles, sans oublier que le jeu doit toujours s’arrêter (on ne peut augmenter indéfiniment la mise, soit parce qu’on n’aura plus rien en poche, soit par le règlement du casino).
Simplifions les choses, prenons la plus simple des règles d’arrêt : décidons de jouer cinq coups (consécutifs ou non). Si nous les jouons selon le schéma de d’Alembert, il faut commencer par miser cinq jeton, pour que, si d’aventure nous gagnions toujours, la suite des, mises soit : 5, 4, 3, 2, 1.
Si nous perdons toujours ce sera : 5, 6, 7, 8, 9.
Il faut alors dresser le tableau de toutes les possibilités.
Pour aller plus vite, négligeons les coups nuls dus à la sortie du zéro.
Il vient, avec un peu de patience, les éventualités :
gagner 15: 1 chance
gagner 13: 5 chances
gagner 7: 10 chances
perdre 3: 10 chances
perdre 17: 5 chances
perdre 35: 1 chances
et grosso modo, ces trente-deux chances sont (abstraction faite du zéro) à peu près équiprobables.
On voit ce qui peut attirer le joueur vers une telle stratégie : ce sont les éventualités du milieu (les plus probables), gagner 7 contre perdre 3. Évidemment cela se paye, car il y a les risques extrêmes (gagner 13 ou 15 contre perdre 17 ou 35). Comparons au cas où l’on miserait (toujours en cinq coups) à masses égales; on obtient évidemment un tableau qui, cette fois, est symétrique :
gagner 25: 1 chance
gagner 15: 5 chances
gagner 5: 10 chances
perdre 5: 10 chances
perdre 15: 5 chances
perdre 25: 1 chances
C’est moins drôle : autant de chances de gains que de chances d’égales pertes. Tandis que la montante de d’Alembert nous fait « espérer » de petits gains, les pertes étant « le plus souvent » encore plus petites, sauf bien entendu la « guigne », qui sera une grosse perte.
Mais on peut renverser la tactique d’Alembert : monter quand on vient de gagner (ne disons pas : quand on« est en gain », car, aux jeux de hasard, gagner ou perdre ne se conjugue qu’au passé). Voici les résultats :
gagner 35 Ou 17 Ou 3;
ou bien perdre 7 Ou 13 Ou 15;
(avec les mêmes probabilités que ci-dessus). Est-ce plus tentant ?
En face de ces trois façons de jouer, faut-il conseiller un choix?
Une méthodes statistiques et de calcul des probabilités les jugerait à peu près équivalentes, car « en moyenne », elles se valent.
Mais si le tenancier de la maison de jeux peut et doit porter des jugements en moyenne, le joueur n’y est pas obligé (sinon il ne jouerait pas, et se contenterait de donner les 1ou 2% de taxe, comme il le fait sur sa note d’hôtel. Le joueur est vraiment libre de préférer les petits risques ou les gros risques, d’être sensible à telle ou telle forme d’émotion : le calcul l’aidera seulement à choisir en connaissance de cause.
Ajoutons que jamais l’expérience n’a pu remplacer le calcul, et que la plupart des inventeurs de martingales n’ont pas eu la patience ni de calculer, ni de raisonner. Mais cela aussi sans doute fait partie de l’univers du jeu, et c’est peut-être pour cela qu’il a été si souvent condamné par les gens raisonnables.